Yvonne et le Terminus
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Bâti non loin d'une base militaire en 1937, le terminus ou Taxi Avril "c'est comme on veut", Yvonne y a passé toute sa vie en dehors de rares séjours loin de Valdahon, il y a bien longtemps. Une vie de labeur... "Oui Madame, il y avait beaucoup de monde et beaucoup de travail à l'époque et on y transportait aussi la clientèle".
Yvonne , une femme hors du commun qui ne laissait pas indifférente, nous l'avions rencontrée par hasard en 2017 au gré d'une balade dans le Doubs. Dès l'âge de 19 ans, derrière le comptoir, elle servait . Clients de passage, militaires de la base à proximité. C'était pour elle , dans son bistrot une fin de vie paisible, entourée de chats souvent errants qu'elle nourissait presque par devoir. Elle était à l'idée que je prenne quelques photos, peu soucieuse de la vétusté de son lieu de vie.
Nous y sommes retournées trois ans après, heureuses de la trouver encore là. Et bien que le souvenir de notre première visite pour elle se soit totalement estompé, en compagnie de sa nièce, elle proposa avec la même générosité un saut dans le passé en puisant dans de grandes boîtes en carton de précieux souvenirs d'une époque ou les photographies étaient plus rares et plus chères. En 2020 encore, elle recevait ses 'clients', des amis, de la famille venus l'entendre parler du passé, la considérant comme 'leur mémoire à tous'.
Ce petit bout de femme séduisait son auditoire par sa voix posée, la délicatesse de son langage, son visage aux traits réguliers, joli, épargné par les rides. Son sourire permanent, la douceur qui émanait d'elle, ajoutés à son grand âge en faisait une personne rare, un précieux cadeau.
S'enthousiasmant devant certaines images reconnues, s'interrogeant devant d'autres, elle avait perdu le récit. Yvonne, s'aidant d'une loupe, scrutait avec attention chaque image à la recherche d'un visage, d'un instantané de vie heureuse ou du douloureux rappel de drames lointains. J'ai un regret , celui de ne pas avoir de certitude quant à la photo de la gamine ravissante et boudeuse, un ruban dans les cheveux. Est-ce un portrait de Mademoiselle Yvonne? Elle ne s'en est pas souvenu ce jour-là.
Nous avons appris sa disparition dans la presse, il fallait lui rendre un dernier hommage. Surprises de trouver la bâtisse toujours debout, des roses trémières en plein fleurissement, le silence habituel, la même lumière laiteuse, enveloppante et pesante qui singularisait le lieu. Yvonne n'était plus là mais était partout où je posais mon regard...
2024, les roses trémières ont fleuri et d'une manière quelque peu inattendue puisque les graines d'un seul pied prélevé chez Yvonne lors de notre dernier hommage en 2022 ont offert une plante se déclinant en trois couleurs. Ce bien précieux est ce qui reste d'Yvonne et lui survit.